Mortelle héroïne 

 

 

C’était hier, j’avais 16 ans, les cheveux longs, le sourire insouciant,


une bande de copains aux trousses et ma joie de vivre à tout vent.


Le cœur léger et vagabond, toujours pressé à la sortie du lycée,


tirant d’une main rassurante, des filles rieuses un peu plus âgées.




 

Je me souviens comme hier, celle qui allait prendre mes vingt ans,


là, furtivement, toi ma Morphée, ma drogue, mon médicament,


face à ta robe blanche, le regard magnétique, comme un aimant,


je t’ai effleurée d’une main moins sûre, de mes doigts hésitants.




 

Toi mon héroïne, objet de tous mes tourments, je fus ton amant,


par hasard, sans te chercher un instant, sans te connaître vraiment.


Je t’ai croisée, blafarde, cafardeuse, au fond d’un sombre couloir,


patiemment aux aguets de mon insouciance ou mon désespoir.





Contre mauvaise fortune, je t’ai goûtée, aimée et même vénérée,


jusque dans mon corps enivré, abandonné à ta douceâtre volupté.


Tu n’étais rien qu’illusion, un fantôme inventé, un amour personnifié,


moi, ton esclave imprudent, si vite enchaîné à tes délices exacerbés,




 

Il n’y a plus de jour dans ma vie brisée où je ne cesse de te chercher,


quand je me lève assassiné de mauvais rêves, tout le corps abîmé.


Je crève de nuits trop courtes, de matins froids sans toi à mes côtés.


et le jour, je ne cesse de te racheter entre des mains décharnées.




 

Comment pourrais-je t’oublier, ô triste secours et seule obsession,


quand tu me manques et que mes yeux te cherchent évanescents,


que mes muscles fatigués s’arc-boutent sous mon écorce d’enfant,


que ma raison schizophrène se disloque, sans regrets ni émotion.




 

En attendant ma délivrance fatale, tu creuses les rides qui affament


les restes de mon corps adolescent, jusqu’à la couleur de mes veines,


criblées et diluées de ce fiel morphinique bleuâtre qui me gangrène,


jusqu’au fond de mes insomnies, jusqu’à la dissociation de mon âme.




 

Ma souffrance n’a d’égal que ma volonté torturée et mes bras scarifiés,


ma démarche hésitante, ma vision qui divague, tous mes sens altérés.


Me voilà, bête errante, rampante, agonisante jusque même suppliante,


te cherchant inlassablement pour racheter de ta poussière brûlante.




 

Mais cette main venimeuse, compatissante à mon cadavre décharné,


me ramène à toi, indécente, redoublant la dette de mon cœur prostitué.


Le cynisme de cette idylle ne pourrait s’imaginer dans les salons de thé,


bien que dans les asiles, les consciences d’argile ne cessent de le

hurler.



 

Ma sylphide, déesse de la mort, quand je te referme dans ma main,


que je préserve le fard de ta beauté assassine, je veux ignorer la fin ;


quand le cristal de mes pupilles se pourfendra, vidé du flash intense,


et que mon regard aveuglé verra mourir l’ombre de ta luminescence.




 

Ravagé par les flammes de l’enfer, jusqu’aux glaces de la démence,


Je refermerai mes bras dénudés sur les ruines de mon corps inerte,


recroquevillé, dormant aux confins des méandres de ma conscience,


sans retour ni réminiscence, au terminus d’une existence déserte.




 

Vois, dans mon cœur, mes restes de haine et tout ce que tu m’as pris,


les femmes attristées, restées dans l’ombre, que je n’ai pas su aimer


tout mon être fragile que tu as enjôlé, trompé, amoindri et assassiné


toi immortelle héroïne à ton œuvre macabre, lorsque tu m’as séduit.




 

Je hurle ma colère d’avoir travesti ma volonté pour mieux me mentir,


maintenant que je connais la perfidie et la puissance de ta dépendance.


Un soupir coupable me hante, de n’avoir pas cru que je pouvais mourir,


à l’aube de mes vingt ans où je me croyais invincible aux apparences.


 

                                                                                      Gilles TRISTAN

Déposer un commentaire sur le livre d'or